
Interview | Coronaview #1 - Quoi de neuf, Tine Van Goethem ?
Cette année, de nombreuses organisations ont été mises à mal. Lasso a réalisé une série d’interviews montrant comment les acteurs bruxellois des secteurs de la culture, de l’éducation permanente, de l’enseignement, de la jeunesse et de la cohésion sociale, ont fait face à la crise. Nous nous sommes posé la question suivante : quel a été l’impact de la COVID sur la structure et le fonctionnement de ces derniers ? L’objectif était de partager les expériences, et d’avancer ensemble. Tine Van Goethem, Audience Engagement Manager chez BOZAR, ouvre le bal avec le premier entretien de la série*.
* Cette série d’interviews a été réalisée en septembre 2020. Certaines déclarations peuvent être dépassées au moment de la lecture et les mesures sanitaires peuvent avoir évolué. Merci de vous remettre dans le contexte de l’époque.
Lasso : Comment est-ce que BOZAR a réagi à la crise ?
Tine : Les premiers mois du premier confinement ont été chaotiques pour toute notre organisation, et particulièrement pour l’équipe chargée de l’engagement et de la fidélisation du public. Il a soudainement fallu modifier toute la stratégie et la programmation, contacter certains groupes cibles, annuler des projets, etc. Parallèlement, nous avons dû trouver des moyens pour rester présents auprès de nos visiteurs et pour rester en contact avec nos partenaires. Il a fallu leur poser des questions pour comprendre dans quelle mesure ils étaient touchés par la crise. Et puis l’été a amené son lot de répit, de sérénité et d’espoir : nous avons pu accueillir de nombreux visiteurs, ainsi que des groupes de visiteurs, pour l’exposition de Keith Haring, et nous en sommes heureux. Je regrette pourtant que nous n’ayons pas pris le temps de réfléchir à cette crise de manière plus approfondie. La COVID a donné lieu à une nouvelle réalité, sociale notamment. Le fossé entre les riches et les pauvres, en effet, ne cesse de se creuser dans une ville comme Bruxelles.

Sur quels projets, quelles initiatives vous êtes-vous concentrés, alors ?
Nous avons abordé les contraintes de manière créative, en organisant de nombreuses activités en ligne. Ainsi, Singing Brussels Celebration a eu lieu en ligne. Pour l’exposition Keith Haring, nous avons organisé des visites virtuelles et quatre ateliers en ligne, avec des activités pour enfants qui ont très bien marché. Nous avons aussi organisé des concerts en ligne et publié des interviews d’artistes sur notre site web. Au cours de ces derniers mois, nous avons veillé au bien-être des visiteurs, des artistes et des employés, en proposant des projets numériques mais également des projets en présentiel. Il a fallu un certain temps pour trouver un nouvel équilibre.
Ce n’est pas parce qu’un événement est organisé en ligne qu’il est accessible à tous.
- Tine Van Goethem
Quelles conclusions tirez-vous de l’expérience du 1er confinement ?
La transition vers le digital nous a permis d’élargir considérablement notre champ d’action. Nous avons réalisé que les activités en ligne avaient beaucoup de succès auprès des familles avec enfants. Néanmoins, nous ne voulions pas commettre l’erreur de fonctionner exclusivement de façon numérique. Ce n’est pas parce que quelque chose a lieu sur le net qu’il est forcément accessible à tous, en effet. Je ne pense pas qu’il soit possible de toucher des groupes cibles plus vulnérables en proposant des projets en ligne. J’espère vraiment que nous n’ayons pas à revivre cette situation. Cette année a été catastrophique pour nos partenaires, les artistes, les guides travaillant au musée, les indépendants, etc.
Pensez-vous que la crise ait mis en avant l’importance du secteur culturel et muséal ?
De gros efforts ont été fournis par notre secteur d’activité dans son ensemble. Pour respecter les mesures de sécurité, les musées ont dépensé d’importantes sommes d’argent, à tel point que les musées et les salles de spectacle sont désormais les endroits les plus sûrs au monde, d’un point de vue sanitaire. Par contre, les mesures imposées telles que la réservation en ligne ou le masque obligatoire représentent des freins, même si, malgré ces obstacles, le public a envie de revenir voir ce qui se passe à BOZAR. L’art et la culture représentent des repères essentiels pour les gens, en cette période de crise et d’incertitude. De plus – le hasard fait bien les choses – le thème de notre saison était « Art & bien-être », l’effet bénéfique que l’art peut avoir sur notre bien-être général. Ce thème est plus que jamais d’actualité et pertinent en ces temps de crise.
Selon vous, qu’en sera-t-il des visites scolaires ?
Dans l’enseignement primaire, il est plus facile d’organiser des sorties en présence de tiers que dans l’enseignement secondaire. Les écoles primaires semblent très intéressées par des visites à BOZAR, en témoigne la longue liste d’attente que nous avions en septembre. Le secteur culturel dépend de tant de protocoles différents que c’est compliqué. Par exemple, le pôle éducation de BOZAR se doit d’appliquer le protocole culturel, et non le protocole éducatif. Du coup, nous ne pouvons pas accueillir des classes en bulle.

Avez-vous pu organiser des projets spécifiques pour les enfants et pour les écoles ?
En septembre, nous avons utilisé notre infrastructure pour être créatifs. Par exemple, dans le cadre du dimanche sans voiture, BOZAR a mis en place un atelier pour les familles, sur son toit. Nous avons également organisé des projections cinéma en extérieur, ainsi que des représentations théâtrales et des concerts. Chaque fois, dans le respect de mesures de sécurité très strictes, et donc avec une capacité limitée. Quant aux visites guidées, elles ont été réduites, en septembre, à des groupes de maximum 10 personnes par guide – COVID oblige – et il fallait réserver un créneau précis. Pareil pour les visiteurs individuels. Par contre, Big Bang, le festival de musique pour enfants, qui aurait dû avoir lieu en novembre, a dû être annulé
Cette crise peut également nous permettre d’atteindre un public plus large et plus diversifié.
- Tine Van Goethem
Êtes-vous optimiste pour la suite de l’année scolaire en cours ?
Oui, j’ai encore de l’espoir. Cette crise est peut-être une occasion pour nous de toucher un public plus large. Certaines tranches de la population ont été gravement touchées par cette crise, comme les personnes âgées, ou les jeunes qui n’ont pas pu aller à l’école. Je pense en particulier aux jeunes qui connaissent des situations familiales difficiles. Selon moi, notre vocation publique pourrait se concentrer sur ce groupe-là, précisément. Nous sommes en train de réfléchir à comment nous pourrions entrer en contact avec eux. Contacter les organisations qui travaillent avec ces jeunes est une piste que nous voulons explorer. Via nos propositions accessibles en ligne, nous allons de toute façon attirer un nouveau public qui, peut-être, avec le temps, viendra découvrir BOZAR sur place. Notre message au public n’a pas changé : venez vivre l’art en direct !
Les mesures sécuritaires à mettre en œuvre entraînent-elles une surcharge de travail ?
Ca a été un exploit d’arriver à tout mettre en place. Entre deux représentations, il fallait prévoir suffisamment de temps pour tout désinfecter et tout nettoyer. Les spectateurs ne pouvaient pas se croiser, il était donc impossible d’organiser deux représentations en même temps, alors qu’auparavant, ces croisements, ces échanges, ces mélanges, ce foisonnement, étaient justement notre atout. Tant que le virus sera là, nous devrons pourtant continuer à respecter les mesures.

Savez-vous déjà comment vous fonctionnerez après le coronavirus ?
La dimension numérique va rester, mais nous réfléchissons à l’équilibre à trouver entre les activités en ligne et celles qui ont lieu en présentiel. Certains groupes réservent un guide en ligne, mais veulent visiter l’exposition individuellement pour ne pas avoir à venir en groupe. Les écoles demandent aussi de plus en plus souvent des visites guidées en ligne, pour le cas où la visite ne puisse pas avoir lieu sur place. Nous travaillons actuellement sur de tels modèles afin de continuer à garantir la qualité de notre offre. Notre fonctionnement ne sera plus le même après la COVID, puisque nous devons réduire nos budgets. Ca reste pourtant essentiel pour nous de continuer notre mission culturelle, et notre rôle social.
La crise sanitaire a un revers positif. Nous accordons plus d’attention aux artistes locaux.
- Tine Van Goethem
Va-t-on vers une version light de BOZAR, avec des moyens financiers réduits et un volet digital plus important ?
Non, la situation n’est pas si noire. Il faut voir les aspects positifs. Par exemple, comme les artistes et les ensembles internationaux ne peuvent plus se déplacer comme avant pour être présents, nous accordons plus d’attention aux artistes locaux. Par ailleurs, j’espère que le contact avec des groupes cibles diversifiés et le caractère accessible de notre maison resteront des priorités. Je pense, par exemple, aux plus de 65 ans, qui représentent une grande partie de notre public. Quand reviendront-ils ici ? Pourront-ils profiter de l’art de la même manière ? Et qu’en est-il des écoles secondaires et des groupes cibles vulnérables ? Nous devrons être créatifs pour réactiver ces différents publics.