Avec cette série de récits concrets, Lasso met en lumière des initiatives vouées à ouvrir les portes à certains groupes de personnes adultes, généralement oubliées ou difficiles à toucher. Beatriz de chez Lasso s’est entretenue avec Isabelle De Meyere de la Commission communautaire flamande (VGC) à propos du projet « Livestreaming voor een minder mobiel publiek » qui a été réalisé dans des maisons de repos bruxelloises. Avec cette interview, Isabelle espère créer de nouvelles collaborations autour de cette aventure numérique et inciter le secteur culturel à utiliser davantage la voie digitale pour tisser des liens avec le secteur de l’aide sociale.

La culture accessible pour un public moins mobile, grâce au numérique

Isabelle De Meyere est coordinatrice de la politique culturelle à la VGC. Elle chapeaute et soutient les services culturels néerlandophones à Bruxelles et elle assure le suivi de projets, notamment pour « Livestreaming voor een minder mobiel publiek ». Elle est convaincue du fait que tout le monde ait droit à une culture de qualité, c’est pourquoi elle travaille sur l’accessibilité du monde de la culture, notamment pour des publics moins mobiles. Elle travaille en collaboration avec la Brussels Ouderenplatform (BOp) et 22 centres communautaires bruxellois.

Pour l’instant, la Commission met l’accent sur la collaboration avec les maisons de repos et les centres sociaux de quartier mais Isabelle envisage d’étendre son action dans d’autres secteurs. Selon elle, il y a beaucoup à faire dans les hôpitaux, les centres de revalidation, les centres pour mineur.e.s, les prisons, etc.

En fait, tout type de vie collective est concerné. Il y a énormément de gens qui sont “coincés” quelque part sans avoir la capacité physique de se déplacer. À terme, nous devrons aller chercher d’autres publics à qui nous adresser et d’autres lieux avec lesquels travailler. Ce ne sera pas simple, car La problématique de la mobilité réduite concerne un grand nombre de secteurs et de groupes cibles différents. Avec ce projet pilote, nous voulons donc d’abord développer le projet et apprendre sur le terrain, avant de pouvoir amener la culture de façon plus large, à un maximum de personnes qui ne peuvent pas se rendre dans nos centres culturels.

- Isabelle

Un projet adapté au groupe cible

Cela peut sembler simple mais la diffusion d’une vidéo en direct ou d’un livestreaming dans une maison de repos nécessite un travail préparatoire important. Dans ces endroits ne disposent généralement pas du matériel ou des connaissances numériques nécessaires pour organiser une telle séance. C’est pourquoi Isabelle encadre minutieusement chaque demande, afin de proposer un accompagnement sur mesure. Parfois il faut parcourir ensemble la fiche technique et le script, parfois on envoie un.e technicien.ne pour installer un câble Ethernet. Le réseau des 22 centres communautaires bruxellois facilite ce processus.

Il y a aussi beaucoup d’éléments à prendre en considération le jour de la diffusion. Les ergothérapeutes sont souvent en sous-effectif et ont un emploi du temps chargé, avec des imprévus qui surviennent constamment. La diffusion du livestreaming peut vite passer à la trappe, dans le rythme effréné de leur journée. Il est donc essentiel d’impliquer les ergothérapeutes dans l’organisation de l’activité. Quand c’est possible, la VGC prévoit un enregistrement de la diffusion, en cas d’annulation de dernière minute, pour avoir un plan B et pouvoir visionner la vidéo plus tard avec les résident.e.s.

© Lander Loeckx
© Sien Verstraeten


Néanmoins, le projet met un point d’honneur à offrir une expérience en direct. Et cela va bien au-delà du livestreaming, la diffusion d’un événement au moment où il a lieu. Tout est pensé pour que les gens se sentent dans l’ambiance de l’événement : on distribue des affiches, des flyers, des billets et des programmes, on soigne également la décoration et l’éclairage de l’espace. Comme lors d’un spectacle théâtre, les résident.e.s peuvent voir sur le grand écran le public arriver et puis quitter la salle à la fin du spectacle. Les résident.e.s font ainsi partie intégrante de l’expérience. Isabelle estime que les travailleur.euse.s public.que.s des centres communautaires ont un rôle important à jouer dans l’encadrement. Jusqu’il y a peu, ceux.celles-ci ont eu du temps pour se pencher sur la question, parce qu’une grande partie de la programmation était annulée en raison de la pandémie. Depuis que les activités ont repris à peu près normalement, il y a moins de temps pour ça. On peut aussi se demander si ce groupe cible reçoit l’attention qu’il mérite de la part des travailleur.se.s public.que.s, s’il y a la volonté de lui consacrer du temps et des moyens.

Obstacles et points d’attention

Le projet en tant que processus d’apprentissage a déjà permis de tirer de nombreuses conclusions :

Nous vérifions désormais toutes les demandes à deux reprises. 90 % des demandeur.se.s qui disent ne pas avoir besoin de support technique ont en réalité besoin de ce soutien. Il s’agit là d’un point d’attention important. Nous avons aussi constaté que les maisons de repos ne sont toujours pas à jour au niveau technique : les modems Internet, par exemple, ne sont pas encore considérés partout comme un bien nécessaire et sont souvent installés à l’écart, dans le bureau de la direction. Dans une des maisons de repos où nous avons travaillé, la connexion Internet était même débranchée le week-end par la commune, quand le personnel administratif s’en allait. Il y a encore du chemin à faire pour changer les mentalités. Ce mode de pensée me semble désuet dans un monde qui offre tant de possibilités numériques. Ces organisations travaillent pourtant avec des personnes qui sont coupées du monde extérieur.

- Isabelle

En termes de population, les maisons de repos sont le reflet de la société. On y trouve des personnes issues de tout milieu social, avec des origines culturelles et des affinités artistiques variées. En questionnant les résident.e.s et le personnel, on parvient à adapter nos propositions : de la musique classique et de l’opéra, ou bien des airs entraînants et plus accessibles. L’offre est toujours bilingue mais, au niveau de la programmation, c’est un réel défi. Les résident.e.s francophones des maisons de repos ne connaissent pas Will Tura, par exemple. Dans certains cas, le sous-titrage est une solution.

© Sien Verstraeten

Dans l’ensemble, ça reste tout de même difficile d’entrer en contact avec les maisons de repos. Il faut beaucoup de temps pour se constituer un réseau et tisser de nouveaux liens. Isabelle peut heureusement compter sur les réseaux respectifs de la BOp et de plusieurs centres communautaires, qui ont déjà collaboré avec les maisons de repos par le passé. Les centres sociaux de quartie et les coordinateur.rice.s locaux.les de la politique culturelle ont souvent des contacts intéressants, aussi. C’est la mise en commun des connaissances de chacun.e et la confiance dans le projet qui permet de réaliser des grandes choses. Isabelle a aussi à coeur de tisser des liens avec Iriscare, qui est en contact avec les maisons de repos au quotidien, pour les soutenir dans leur démarche.

Et maintenant ?

Bruxelles compte pas moins de 137 maisons de repos. Toutes ne bénéficient pas des services des centres communautaires locaux, en plus du fait que les centres communautaires ne sont pas encore experts en matière de (live)streaming. Et, de manière générale, on peut dire que l’offre culturelle à Bruxelles est plutôt limitée pendant la journée. En d’autres mots, on a à faire à un fossé à combler sur le marché. C’est ce qui pousse Isabelle à s’adresser au secteur culturel. Elle appelle les institutions culturelles à réfléchir avec elle à la question de la culture numérique, à développer leur expertise dans ce domaine et à la déployer au profit d’un public moins mobile. Elle estime bien entendu que cette offre est complémentaire de l’offre analogique déjà très étendue.

Les réactions et les évaluations montrent que ce groupe apprécie vraiment qu’on lui porte de l’attention. Il y a beaucoup de résident.e.s atteint.e.s de démence dans les maisons de repos, mais beaucoup sont encore conscient.e.s de ce qui leur arrive, parce qu’ils ou elles sont dans les premiers stades de la maladie. Ces personnes savent qu’elles sont arrivées à la fin de leur vie, et c’est un coup dur. Toutes les initiatives qui sont suceptibles de créer un pont entre l’intérieur et l’extérieur de la maison de repos sont les bienvenues. C’est une des raisons pour lesquelles nous voulons continuer sur cette lancée : les gens sont demandeurs. Ils et elles ont besoin de ce lien avec le monde extérieur. Ca casse la routine et ça crée des moments de qualité. Est-ce que la qualité a vraiment une place dans ces lieux ? C’est vrai que des chouettes activités sont parfois proposées aux résident.e.s, mais les bricolages avec des rouleaux de papier WC font aussi partie de leur réalité… La musique pourrait jouer un rôle beaucoup plus important dans les maisons de repos. J’ai entendu le témoignage de personnes qui se mettaient à entonner des chansons de leur enfance, alors qu’elles étaient assises à côté de proches qu’elles ne reconnaissent plus.

- Isabelle

Avec cette initiative, la VGC et Lasso veulent faire du livestreaming une pratique courante. Votre organisation travaille-t-elle avec un public moins mobile ? Entrez dans l'aventure du livestream ! Consultez le nouveau programme de printemps et le formulaire d'inscription. Votre organisation dispose-t-elle d'une offre adaptée à un public moins mobile ? Alors n'hésitez pas à contacter Isabelle pour discuter de vos idées.