Le 23 mai 2022, la Cie sQueezz a organisé, en collaboration avec le centre culturel De Rinck, une journée artistique pour les tout-petits appelée ‘VanKleinsAfAan’ (NDLR : 'Dès le plus jeune âge'). Ce programme artistique adapté aux enfants de 0 à 6 ans comprenait aussi une formation et des échanges réservés aux professionnels. A cette occasion, Lasso a co-animé une table ronde avec Anne-Beth Schuurmans (artiste de la Cie sQueezz), Gerd Lannoo (responsable de la crèche Elmer Zuid) et Anja Van Waeyenberg (responsable de la crèche De Klaproos). Tous ont partagé leurs expériences liées aux projets artistiques organisés pour les tout petits et les très jeunes enfants, dans le cadre du partenariat de leur commune, Anderlecht. Voici le compte rendu de leurs échanges.

Lasso: Pourriez-vous expliquer en quelques mots qui vous êtes et ce que vous faites ?

Anne-Beth Schuurmans : Je travaille pour la Cie sQueezz, qui a vu le jour en 2012. J’ai fondé, avec Marie-Rose Mayele-Venneman, cette plateforme indépendante avec l’intention de produire du théâtre et de la danse interdisciplinaires pour les tout-petits. Marie-Rose est, comme moi, danseuse et interprète artistique professionnelle. Nous voulions partager nos premières créations avec nos amis et créer un lieu où les artistes, mais aussi les professionnels de la petite enfance, pourraient se retrouver. C’est ainsi que VanKleinsAfAan a commencé. Je travaille également à 2TurvenHoog à Almere, un festival d’art aventureux pour les enfants entre 2 et 8 ans.

Gerd Lannoo : Je fais partie du groupe de travail 'Kunst voor de Allerkleinsten' (NDLR : ‘L’Art pour les Plus Petits') à Anderlecht. Après mes études d’animation socioculturelle, j’ai commencé à travailler dans le secteur artistique. D’abord pour Rasa, qui élabore des projets d’art visuel contemporain pour les enfants. C’est là que j’ai appris le langage des arts. Selon moi, après l’amour, l’art est la langue que chacun devrait avoir l’occasion d’expérimenter. Aujourd’hui, je travaille dans le secteur social et je coordonne Elmer Zuid. Travailler en réseau est très important pour nous, ça nous donne de nombreuses opportunités.

Anja Van Wayenberg : Je travaille en partie comme assistante maternelle et en partie comme responsable de crèche. J’ai rejoint le groupe de travail récemment. J’aide à organiser les activités, j’aime voir les enfants apprécier les spectacles.
© Karim Abraheem

À Anderlecht, les forces s’unissent depuis longtemps pour faire de "l’art pour les très jeunes" une réalité. Comment cette dynamique s’est-elle mise en place ?

Gerd : Il y a 5 ans, les Huizen van het Kind (NDLR : Maisons de l’enfant) ont été créées à Bruxelles. Le but était de mettre en place des partenariats autour de l’enfant. Nous nous sommes donc mis autour de la table avec des crèches, la Huis der Gezinnen (NDLR : Maison des familles) et certains centres d’accueil. On a rapidement mis l’accent sur les enfants de 0 à 6 ans. La première chose concrète que nous avons faite, c’est la programmation de Stip It (NDLR : un spectacle d’Anne-Beth Schuurmans & Elian Smits, produit par la Cie sQueezz). Ensuite, on a eu l’idée d’organiser une activité mensuelle et, peu après, un réseau d’apprentissage a été lancé, pour stimuler des rencontres et des opportunités dans le quartier.

Anne-Beth : Parallèlement, nous avons imaginé le projet VanKleinsAfAan et nous en avons fait part aux partenaires de notre réseau. Le Kunstendag voor Kinderen (NDLR : Journée des arts pour les enfants) a été notre première véritable collaboration. Le fait de proposer quelque chose pour les jeunes enfants ici à Anderlecht a été très apprécié. D’autres journées familiales ont vu le jour, par la suite. Nous sommes très impatients de poursuivre notre collaboration et nos échanges. La prochaine étape pour nous, c’est de trouver des ressources et des moyens pour réaliser nos projets de manière structurelle.

Les enfants sont à la fois le public le plus facile et le plus difficile. Si ça marche, ils sont à fond dedans, si ça ne marche pas, vous les perdez complètement.

- Gerd Lannoo

Anja, comment avez-vous été impliquée dans cette histoire ?

Anja : J’ai appris à connaître Marie-Rose, sous le nom de "Mama Zon" (NDLR : Maman Soleil) lorsqu’elle nous a contactés pour présenter son spectacle à la crèche. Cela a commencé de manière très ludique en partant du vécu des enfants. À partir de là, d’autres collaborations ont vu le jour. Pendant le Covid, nous avons même eu des spectacles à regarder de derrière les fenêtres. C’est très sympa de voir comment les enfants réagissent, comment ils apprécient l’interaction avec les artistes. Les artistes ont un autre lien que nous avec les enfants que nous, ils interagissent différemment, ce qui est une source d’inspiration pour nous aussi, en tant qu’animateurs.

© Karim Abraheem

Gerd, comment cette collaboration s’inscrit-elle dans la vision d’Elmer Zuid ?

Gerd : Nous basons notre vision sur les ‘Eerste 1000 dagen’ (NDLR : "1000 premiers jours"). L’idée est que les premières années de la vie sont primordiales pour le développement futur de l’enfant : ce qu’il apprend à cette étape de la vie, l’accompagnera pour la suite de son parcours. Il en va de même pour l’art ou le langage visuel. Ce sont des langages qu’on peut vraiment apprendre dès le début et qui peuvent parfaitement s’inscrire dans la vision d’une crèche. Les enfants doivent pouvoir se développer en ayant la chance de découvrir cette façon d’appréhender le monde. Par ailleurs, nous nous définissons aussi dans l’aide que nous apportons aux nombreux parents qui tâtonnent dans ce domaine.

Grâce à l’expérience professionnelle que j’ai accumulée, il est évident que j’apporte une certaine expertise à la crèche. Pour de nombreux accompagnateurs, ça reste une initiative qui sort complètement des sentiers battus mais une fois qu’ils voient que les enfants prennent plaisir, la suite se passe nettement plus facilement.

Anne-Beth, quelle a été votre première expérience de création de spectacles pour les tout-petits ?

Anne-Beth : Ma première œuvre a été Moestuin (NDLR : Potager), en 2010, que j’ai créée à partir d’un peu de terre et d’un peu d’eau que j’ai amené à la crèche. Je n’avais pas du tout pensé à des choses comme la mise en place du public… Résultat ? Un enfant a immédiatement plongé ses mains dans la terre et a pris la parole... Tout ce que je pouvais faire alors c’était d’embrayer avec les enfants. Ce moment a été particulièrement instructif, à plusieurs niveaux : savoir comment positionner son matériel, savoir que l’on peut compter sur son talent d’improvisation, que l’on doit informer les assistantes maternelles sur le déroulé et sur ce qui va se passer, et leur dire comment se comporter avec les enfants. Tout ce que je voulais faire en tant qu’animatrice s’est alors mis en place : le travail abstrait, la composition instantanée, le contact avec le public, les arts contemporains, mon rôle de maître de cérémonie, la participation…

J’admire beaucoup le talent d’improvisation des artistes. C’est pourquoi j’ai assisté plusieurs fois au même spectacle. Bien que le fil conducteur et l’atmosphère générale étaient pareils, le spectacle était chaque fois différent. C’est complètement participatif, tant au niveau de l’action que du mouvement… C’est génial de pouvoir créer ça et de plonger les enfants dans l’activité.

- Gerd Lannoo

Comment les puériculteurs et gardiens maternels vivent-ils le fait d’avoir un artiste dans leur crèche ?

Gerd : Je pense qu’ils sont parfois un peu effrayés de voir que les enfants réagissent différemment que lors de leur routine quotidienne. Ce matin, par exemple, on s’est demandé si c’était une bonne idée d’amener un des enfants, qui est particulièrement actif, au spectacle. Mais vous découvrez alors une tout autre facette de sa personnalité et vous lui donnez l’occasion de tester de nouvelles limites. De nombreux puériculteurs n’ont pas l’habitude de collaborer ainsi, ce qui explique une certaine distance ou réserve, au début. C’est pourquoi c’est si important d’adapter ces pratiques artistique à ce contexte, en tenant compte de ses spécificités.

Anja : Dans notre métier, il est essentiel d’avoir une ouverture d’esprit. Voir comment un.e artiste stimule les enfants ou propose des activités est très instructif et inspirant pour nous. C’est un plaisir de participer à quelque chose de nouveau lorsque nous voyons les enfants s’épanouir ainsi.

© Karim Abraheem

Quels défis voyez-vous pour la suite du projet VanKleinsAfAan ?

Marie-Rose : Avoir du monde qui assiste à nos journées familiales et à nos spectacles n’est pas difficile, grâce à nos nombreux partenaires qui relaient l’info à leurs clients ou à leurs membres. Par contre, nous remarquons qu’il y a peu de diversité dans le public que nous touchons. Ca reste un défi pour nous d’accueillir un plus large pannel de familles. Nous devons y travailler étape par étape et tenter de supprimer les obstacles et les freins qui se présentent.

Gerd : Il y a aussi le défi financier. Les crèches n’ont pas de budget pour faire des sorties. Il faut dès lors penser en termes de projets, en s’inspirant de nombreux exemples internationaux de qualité. Libérer des ressources pour ce type de projet devrait également être un choix politique. Je pense que ce que nous faisons ici, à Anderlecht, peut être un exemple de ce qui est possible d’organiser. La force de notre projet ? Elle réside dans la collaboration et le fait que chacun des partenaires fait ce qu’il a à faire. Tant que c’est le cas, le projet peut être poursuivi. Mais malheureusement, il n’y a pas encore de certitude structurelle.


Envie d’approfondir le sujet ? Regardez l'aftermovie (NL) de la Journee des arts. Anne-Beth Schuurmans a également écrit le livre (en néerlandais)
‘Interdisciplinair theater voor de allerkleinsten’, où elle donne la parole à des personnes dont l’approche ou l’action sont inspirantes.